Philosophie

La mort, presque toujours perçue comme une fin tragique, peut être envisagée sous un angle différent, celui d'un nécessaire rappel de la valeur de l'instant présent. Cette perspective implique que la conscience de notre mortalité aiguise notre appréciation du moment présent et nous offre la jouissance immédiate de chaque fragment de vie.

5 - Le triomphe de l'être
Gustav Klimt - L'arbre de vie - 1905-1909 - Palais Stoclet, Bruxelles, Belgique

5 - Le triomphe de l'être

Dans quelle condition s’opère l’inexplicable fusion qui fait disparaître l’angoisse ? Il faut que la notion de la continuité temporelle soit perdue, débordée en tous sens par le sentiment de l’éternel. Alors, ce n’est pas le temps qui est nié, mais l’immortalité. Le temps subsiste dans sa nature propre de cadre de la sensibilité ; il permet la saisie de l’éternel, mais alors on ne pense plus à lui, car il est comblé. Au contact de l’être éternel transcendant le devenir, tout rêve s’évanouit. Or l’immortalité n’est qu’un rêve, celui que construit l’âme angoissée qui espère, en prolongeant indéfiniment la vie, atteindre l’être absolu auquel elle aspire.

Donc, plus le contact avec l’être éternel est intime, moins on s’attache à l’immortalité, plus on se détache de la vie qui n’est qu’une promesse perpétuelle. Ainsi, dans le conflit qui l’oppose à la vie, c’est l’être éternel qui l’emporte ; il ne détruit pas la vie ; il l’inonde au contraire de sa plénitude et de sa signification. Mais cette victoire est rarement complète, car le temps résiste, poussant l’homme à voir dans la mort un terme et en même temps le seuil d’une vie immortelle.

L’homme en proie à sa sensibilité, c’est-à-dire victime du temps, a toujours tendance à rejeter l’éternel « après la mort ». Il oublie qu’entre l’éternité et l’immortalité, il y a une différence de nature parce qu’il n’a pas assez profondément connu à quel point l’éternel est qualité. Et la raison profonde de cette insuffisance est dans la dualité originelle de sa nature qui l’oblige à penser alors que le monde extérieur est immuable et à juger alors que son essence mystérieuse est éternelle. Ici, la philosophie n’a plus rien à dire ; c’est le rôle de l’éthique d’éloigner le plus possible de l’homme le rêve de l’immortalité pour lui faire goûter le plus intensément possible la réalité de l’éternel.

Enfin, c’est peut-être le rôle de la foi de lui faire concevoir la mort comme – selon le mot de Kierkegaard – le « saut qualitatif » qui par l’acte inverse de celui qui explicite le moi par le péché – le fixe dans l’éternité où l’affirmation totale de l’être ne laisse pas la moindre place au fantôme inconsistant d’une vie immortelle.